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22 juillet 2025

D'Anor à Petit-Fort-Philippe, Jean-Denis Clabaut a traversé le Nord à pied

Pour sa première année de retraite, Jean-Denis Clabaut s’est lancé un pari un peu fou : parcourir 300 km de chemins sinueux du département. Muni de son sac à dos et de son sourire, ce Seclinois est parti à la rencontre des trésors de la nature et des habitants de villages méconnus.

Qu'est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans cette aventure ? 

Jean-Denis Clabaut : L'idée m'est venue en 2016 quand j'étais dans l'avion pour "Des Racines et des ailes". L’émission m’avait contacté car je suis spécialiste de la région. Pour l’occasion, on a survolé tout le département et j'ai été vraiment frappé par la démarcation entre les différents paysages : le bocage, l’openfield du côté de Cambrai (paysage agraire à champs ouverts), les Weppes, les Flandres.

J’avais l'impression qu’il y avait de vraies ruptures depuis l’avion et je me suis demandé si c’était la même chose sur le terrain. Je voulais aller à la rencontre des Nordistes et des paysages, et voir si on pouvait trouver des zones désertes dans le département le plus peuplé de France.

Ce qui m’intéressait aussi, c’était de dire aux gens du Nord que ce n’est pas la peine de partir à l’autre bout du monde pour vivre une aventure. J’habite ici depuis 60 ans et j'en ai vécu une au bout de la rue. En tant qu'ancien enseignant, je veux transmettre l'idée que tout le monde peut partir en vacances. Il suffit juste de prendre un sac à dos et d’oser !

Quel a été votre itinéraire ? 

J-D. C. : Je voulais éviter les villes car le but du jeu était d’être en pleine nature. Je suis donc passé à travers la forêt de Fourmies, direction la forêt de Mormal. J'ai longé la vallée de la Selle jusqu'aux mines. Pour les atteindre, j’ai traversé un pont au-dessus d’une autoroute du côté de Fenain. J’ai mis le cap sur la forêt de Marchiennes, puis Orchies et Seclin en passant par la forêt de Phalempin. J’ai terminé mon voyage en direction des Weppes, près de Merville et de la forêt de Nieppe. J’ai visité Cassel et Gravelines pour achever mon parcours à Petit-Fort-Philippe.

Comment vous êtes-vous préparé pour ces dix jours d'exploration ?  

J-D. C. : Je pratiquais déjà du sport régulièrement. Je me suis donc spécifiquement entrainé à la marche. Ça passe aussi et surtout par la préparation du parcours. J’ai récupéré des cartes IGN et j’ai relié entre eux les chemins sans véhicule pour aller d’Anor à Petit-Fort-Philippe. Ce sont les cartes les plus précises (25/1000) sur lesquelles on voit chaque maison, chaque haie, chaque ruisseau. Il y a tout type de sentiers : à travers les champs, pavés, agricoles ou encore d’anciennes voies ferrées. J’ai emprunté 80% de chemins pour cette traversée du Nord.

Cela étant, j’ai préparé mon sac à dos et mes chaussures de marche adaptées. Je suis parti avec le minimum, même pas de réchaud. J’ai pris quelques collations et je pensais faire le complément de nourriture directement en magasin. Pour conserver une hygiène satisfaisante, j’ai pris ma brosse à dents et mon dentifrice. On revient au gant de toilette et au savon comme avant ! J’ai embarqué ce que j’ai appelé mon lavabo, c'est-à-dire mon tupperware rond dans lequel je mettais un verre d’eau. Car oui, il faut apprendre à se laver avec un verre d’eau !

Et sans oublier ma tente pour dormir ! J’ai aussi accroché des panneaux solaires à mon sac pour charger mon téléphone en continu et pouvoir me repérer en cas de doute sur le trajet à emprunter. J’avais envie de faire ça depuis très longtemps. J’avais vraiment hâte de concrétiser le projet que je préparais depuis un an.

À quoi ressemblait une journée type ? 

J-D. C. : Je marchais bien évidemment ! Je démarrais très tôt, car c’était en pleine période de canicule. Je me mettais en route vers six heures.

Ma plus petite journée, c’était pour arriver à Orchies. Ce jour-là, je n’ai fait que 14 km car j’étais attendu sur place. Mais à l’inverse, ma plus longue journée, j’en ai fait 37. En moyenne, je parcourais 30 km par jour au milieu de la verdure et des champs. J’ai eu de la chance, le temps était au rendez-vous : je n’ai eu que très peu de pluie.

Le soir venu, je plantais ma tente là où je pouvais. Je m’adaptais et mon corps aussi. Au fur et à mesure des jours, je ne sentais plus mon sac à dos de 10 kg. Il avait trouvé sa place et je me suis rendu compte que je pouvais vraiment marcher 30 km par jour. Dans les Flandres, j’étais un peu en avance et j’ai même rajouté une boucle de 10 km. Je ne regrette pas, c’était magnifique !

Comment vous êtes-vous adapté à la canicule ? 

J-D. C. : Je me suis arrêté régulièrement à l’ombre et j’ai redoublé de vigilance. J’ai rencontré des gens adorables et heureusement ! Le lundi de la canicule, j’ai bu 11 litres d’eau ! Et le sac à dos pesant une dizaine de kilo, il faut le porter. À chaque fois que je toquais à une porte, on me donnait de l’eau. Il y a même des gens qui ont rajouté de la glace pilée dedans. Un cycliste que j’ai croisé m’a aussi donné la fin de sa gourde.

Avez-vous fait des rencontres marquantes avec des habitants ? 

J-D. C. : Je n’ai fait que ça ! Les Nordistes ont bien fait honneur à leur réputation. D’un bout à l’autre du département, les gens ont été plus qu’accueillants.

Dans l’Avesnois, j’ai été reçu dans une petite épicerie. L’homme me demandait où j'allais dormir et il a appelé le camping qui était un peu plus loin, du côté de Maroilles. Le camping était fermé mais il a réussi à trouver le propriétaire qui m'a ouvert les portes pour la nuit.

Autre anecdote, la plus marquante pour moi. Arrivé dans les Flandres, en descendant de Cassel, il a beaucoup plu. J'étais vraiment trempé et j'ai fini par frapper à la porte d'une ferme en demandant s'ils avaient un coin au sec pour que je puisse dormir. Ils m'ont gentiment ouvert leur hangar à tracteurs. Mais ce n’est pas tout : la propriétaire est venue débrancher un compresseur pour que je puisse brancher mon téléphone. Elle m'a montré la salle de traite avec un lavabo, de l'eau chaude et des toilettes. À 19h30, le cultivateur est venu frapper à la porte du hangar en disant que la soupe était servie. J'ai mangé avec eux et on a discuté pendant trois heures de leurs habitudes, du terroir et de leurs difficultés. Le lendemain matin, quand j'ai ouvert les portes du hangar à 6h, le monsieur était à sa fenêtre et il m'a dit : le café est servi. C’était incroyable.

Tout au long de mon voyage, tout le monde était intéressé et attentionné. On aurait presque dit un réflexe de solidarité.  La première chose qu’on me demandait, c’était : De quoi avez-vous besoin ?. On m’a offert une banane et un saucisson dans un bistro. C’était au-delà de mes espérances.

Par quoi avez-vous été porté dans les moments difficiles ? 

J-D. C. : L’envie était tellement forte que le mental était là. Au départ, je faisais ça pour moi. Je me connectais à la nature. Je dessinais quelques monuments et je griffonnais des textes. Le premier portait sur la difficulté que j’ai eue à traverser un petit sentier oublié entre deux haies d'Aubépine. Je l’ai d’ailleurs surnommé l’Amazonie. J’ai dû me battre pour passer au milieu des ronces épaisses comme des doigts et des orties. Les haies sont tellement denses que le vent ne passe plus à travers.

Et là tout à coup, je suis tombé nez-à-nez avec un chevreuil qui lui aussi était coincé. J’ai écarté avec un bâton la végétation. J’en suis sorti avec du sang sur les bras et les jambes mais ce n’était pas grave. Je n’ai pas détruit l’environnement, je n’ai pas laissé de traces de violence. Même si je n’étais pas au milieu des Hommes, j’étais au milieu de la vie. J’avais l’impression de défricher un territoire vierge.

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Puis, à la demande de mes amis, j’ai créé un groupe WhatsApp où les participants me demandaient de poster des photos. Je leur faisais aussi des compte-rendus le soir. J’avais de plus en plus de commentaires. Un pouce levé peut faire beaucoup quand on est seul sous 35 degrés. Ça m’a vraiment aidé.

Comment cette expérience a changé votre façon de voir le département ? 

J-D. C. : En tant qu’archéologue médiéviste, on a l’impression de connaître le territoire qu’on a étudié mais en réalité, on le connaît mal. Je ne m'attendais pas à découvrir une flore et une faune aussi riches à travers tous ces petits chemins. La beauté des paysages est juste subjuguante.

Ce sont tous des oasis de refuge de plantes dont on ne veut pas dans les champs monoculture. C’est rempli de petites bêtes. Il y a des oiseaux, des insectes, des chevreuils, des renards, des blaireaux… 

Et puis, quand on va sur le terrain, c’est là qu’on se rend compte des difficultés de Monsieur et Madame Tout-le-Monde. On prend conscience qu’il y a des villages vieillissants où il ne reste que la maison médicale et la pharmacie. Ces zones sont désertées et elles ont du mal à faire porter leur voix.

Qu'avez-vous appris sur vous-même ? 

J-D. C. : J’avais l’impression que je maitrisais les choses mais en fait, non. Je ne m’attendais pas à cet élan de générosité et à toutes ces rencontres. Humainement parlant, c’était très enrichissant. Je n’ai fait que de sourire tout au long du chemin. J’ai passé dix jours de bonheur absolu. Par moment, j’avais une douleur au genou. À la fin, les quelques douleurs que je pouvais avoir avaient disparu.

J’ai aussi changé mes habitudes. Avant, je ne pensais pas pouvoir me passer de mon café du matin, par exemple. Mais je l’ai remplacé par une pomme, deux figues sèches et une barre de céréales. Et surtout, par le plaisir fou de marcher au milieu de tous ces paysages incroyables !

Et maintenant...

J-D. C. : Maintenant, je pourrais écrire un récit de voyage. On y retrouverait mes pensées, des photos, des dessins ou des textes que j’ai griffonnés. Je ne veux pas oublier la richesse de ce que j’ai vu. Ça me donne envie de recommencer !

Crédits photo : Jean-Denis Clabaut

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