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19 novembre 2025

Entrée en EHPAD : les bonnes pratiques pour une transition sereine

Franchir la porte d'un Établissement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) constitue souvent un bouleversement teinté d'émotion et de doutes pour les personnes concernées et leurs proches. Peut-on "réussir" une entrée en EHPAD ? Comment accompagner cette nouvelle étape ? Sylvain Brabant, contributeur du livre "L'entrée en EHPAD, comment s'adapter au changement de vie ?" de la Fondation Partage & Vie, répond à ces questions.

Sylvain Brabant dirige le service Atmosphère de la Fondation Partage & Vie à Paris, où il met en œuvre avec son équipe quatre services - aide à domicile, soins, équipe spécialisée Alzheimer et centre de ressources territoriales - pour favoriser un maintien à domicile de qualité. Il a participé aux débats des Estivales 2025 conduits par la Fondation, qui ont donné lieu à la parution de cet ouvrage aux éditions Presses Universitaires de France.

Pourquoi avoir choisi l'entrée en EHPAD comme thème de ce nouveau livre ?

Sylvain Brabant : Chaque année, la Fondation Partage & Vie organise des ateliers, des échanges et des enquêtes mêlant des personnes de terrain (professionnels de établissements médico-sociaux), des aidants, des médecins, des psychanalystes, des philosophes, pour questionner les pratiques liées au grand âge. L'objectif est d'en faire une synthèse sous la forme d'un essai, qui peut faciliter le quotidien des aidants, en apportant témoignages et conseils. Cette année, la question du passage en EHPAD s'est vite imposée. Nous nous sommes interrogés sur la notion d'échec, sur les différentes perceptions qu'avaient les intervenants sur l'entrée dans ce lieu. Les débats ont été riches et spontanés, comme les propos très francs d'Anny Duperey qui refuse en bloc l'idée d'aller en EHPAD un jour !

Selon l'ouvrage justement, seuls 27 % des résidents d'EHPAD ont eux-mêmes décidé d'entrer en établissement...

S.B. : Oui, cela pose d'emblée la question du consentement. Aujourd'hui, on ne parle pas de ces choses-là, on évite le sujet. Cela interroge notre rapport personnel au vieillissement, à la mort. Or c'est quand nous sommes le moins dépendant possible qu'il faut communiquer. Il faut libérer la parole ! Chacun ressent les choses différemment, en fonction de son vécu, de sa personnalité. Si je ne me sens pas en sécurité chez moi car je suis tombé, alors l'entrée en EHPAD peut être vécue comme sécurisante. Et inversement. Si je suis isolé chez moi, je peux y retrouver une seconde vie sociale…

Rappelons aussi qu'il y a des alternatives en fonction du degré de dépendance et que l'on peut passer d'une solution à une autre : les résidences autonomie, les habitats partagés, des services d'aide à domicile organisés en équipes autonomes comme dans le Nord, qui travaillent à l'échelle d'un quartier pour que la personne retrouve toujours le même auxiliaire de vie. Il n'y a pas de recette miracle. Comme le dit Boris Cyrulnik : "la relation est le médicament essentiel".

Le mot-clé à retenir est donc anticipation. Comment peut-on préparer une entrée en EHPAD ?

S.B. : Quand c'est possible, c'est-à-dire quand un événement brutal n'est pas à l'origine du passage en structure, l'entrée peut se préparer progressivement. Il faut absolument éviter le tout ou rien, et faire la politique des petits pas pour réduire l'anxiété de la personne et la culpabilité des proches. 

Pour cela, plusieurs options sont envisageables : on peut faire de l'accueil de jour, pour expérimenter l'EHPAD avant d'y entrer. Aller y déjeuner en famille, participer à une activité ou à des vacances organisées. Fonctionner en maillons de confiance : c'est à dire en parler à son médecin, au personnel qui vient déjà à domicile. On peut, par exemple, garder à l'EHPAD la même auxiliaire de vie que celle qui venait à la maison, pour maintenir le lien. Il faut identifier les besoins de la personne et construire à partir de là.

Illustration
Sylvain Brabant, à la Fondation Partage & Vie

Dans cette préparation, la pair-aidance est aussi une ressource essentielle ?

S.B. : Absolument ! La pair-aidance a une vraie utilité sociale qu'il faut encourager. Échanger avec des personnes qui sont dans la même situation soutient le bien-être émotionnel. Il existe de plus en plus de cafés des aidants et des associations comme La compagnie des aidants ou Nouveau Souffle. Ce sont des boîtes à outils qui proposent des solutions de répit et permettent de se former, par exemple sur la communication avec les personnes âgées dépendantes ou sur la nutrition. Les plateformes d'accompagnement et de répit, portées par les Départements, proposent entre autres ressources des aides psychologiques. Au sein même des EHPAD, il y a aussi des modèles à construire, comme un système de parrainage entre résidents ou des aidants référents.

S'agit-il également de restaurer la confiance des familles envers les EHPAD pour donner envie d'y entrer ?

S.B. : Les récents scandales ont évidemment profondément érodé la confiance du public envers les structures. Pour la rétablir, l'ouverture et la transparence sont essentiels. Il faut rappeler que les contrôles sont systématiques, que chaque EHPAD a un projet d'établissement affiché et libre d'accès et qu'il existe des médiateurs. Pour changer de regard, il est indispensable de casser cette image de dedans/dehors, cette notion d'enfermement dont parle Anny Duperey. Cela passe par l'architecture : de plus en plus de résidences sont construites en maisonnées, avec des chambres personnalisées, ouvertes sur l'extérieur. On peut aller au kiné dans un EHPAD, manger en famille à l'EHPAD. Tous ces moments démystifient la structure, et donnent à voir un lieu de vie et non de fin de vie.

Bien sûr, au-delà des murs, la qualité de l'accueil est primordiale. La dépendance n'efface ni la personne, ni ses droits. Former le personnel à la prise en charge des maladies neuro-dégénératives, recenser les capacités et les envies des personnes, leur donner le choix, voilà des axes à développer. Dans l'ouvrage, la docteure en médecine et psychologue Marie-Françoise Fuchs raconte son immersion de 24 heures en EHPAD. Elle a été marquée par la manière dont une jeune auxiliaire de vie est venue prendre leur commande à table, carnet et stylo en main, comme dans un restaurant.

Quel est le rôle des pouvoirs publics dans ce "réenchantement" ?

S.B. : Aujourd'hui nous fonctionnons encore trop en silo. Nous devons utiliser les EHPAD comme centre de ressources et d'expertise pour partager les informations entre nous. Il arrive que des médecins, des pharmacies, n'aient même pas connaissance de toutes les solutions qui existent, comme les accueils de jour. Les pouvoirs publics ont pour rôle de faciliter la création de ce maillage territorial. C'est le but notamment des services publics départementaux de l'autonomie (SPDA), expérimentés dans 18 départements, dont le Nord. Ce guichet unique réunit tous les acteurs de l'autonomie en un seul point pour un égal accès de l'information sur le territoire. Le vieillissement est une prise de conscience, une réflexion collective. On ne s'intéresse pas au sujet de la dépendance tant qu'on n'y a pas été personnellement confronté. Alors, créons ensemble ce dialogue.  

"L'entrée en EHPAD, comment s'adapter au changement de vie ?"

Ce sixième ouvrage collectif de la Fondation Partage & Vie publié aux éditions PUF, sous la direction de Roger-Pol Droit et Dominique Coudreau, aborde ce sujet souvent tabou, perçu comme une rupture plutôt qu’une transition. Illustré d’exemples concrets et de paroles d’experts, il s’adresse aux personnes âgées, aux professionnels, aux responsables d’établissements, aux familles, aux aidants et aux bénévoles.
Collection "Bibliothèque Partage & Vie", 224 pages, 17 euros.

Crédits photo : istock

  • Frédérique SEELS
    Conseillère départementale - Vice-présidente en charge de l'autonomie des séniors

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