Ruralité | Flandre intérieure
8 décembre 2025

Deux agriculteurs nordistes innovent avec le miscanthus

À Merville, Florence Dauchez et Bruno Delassus ont tourné la page des pommes de terre et ont tout misé sur le miscanthus, une herbe géante qui pousse sans engrais ni pesticides. Un pari audacieux, presque fou. Mais ce n’est pas tout, leurs 200 hectares s’apprêtent à devenir un matériau isolant inédit dans le bâtiment.

Des tiges à perte de vue. Il suffit de s’aventurer de quelques mètres pour se retrouver dans un véritable labyrinthe. En avril 2022, ces frères et sœurs se lancent un défi, celui de transformer les 200 hectares de l’exploitation familiale de pommes de terre, d’oignons, de blé et de betteraves en champs de miscanthus. On n’y connaissait rien du tout, reconnait Florence Dauchez. C’est super motivant parce que, si on avait seulement planté 10 hectares, on ne s’en serait jamais occupé.

Aussi appelé "herbe à éléphant", le miscanthus ne se sème qu’une seule fois et repousse chaque année, pendant plus de vingt ans. La parcelle qu’on a plantée en 2023, on n’y touchera plus avant 2043 !, s’amuse l’agricultrice. Après un simple désherbage la première année, plus besoin d’engrais ni de produits phytosanitaires. Chaque printemps, la plante est coupée à ras du sol, et revit d’elle-même. Mais, chose surprenante, ce n’est jamais la même tige. À chaque coupe, c’est un nouveau bourgeon qui va émerger. D’ici deux ans, les lignes de plantation auront totalement disparu.

Avec ses tiges hautes de trois mètres, le miscanthus forme un épais couvert végétal. Les feuilles tombées à l’automne créent un paillis naturel qui empêche les mauvaises herbes de pousser. C’est comme dans vos jardinières : avec le paillis, plus de désherbant, plus de ravageurs. Et les feuilles libèrent de l’azote pour la repousse suivante, démontre Florence.

Le tout pour le tout

Si le miscanthus a suscité l’intérêt de cette fratrie, c’est pour une question de règlementation. En 2020, une nouvelle loi a été mise en place : initialement fixée à cinq mètres, la distance de sécurité pour l'utilisation de produits phytosanitaires à proximité des habitations a d’abord été ramenée à trois mètres pour certains produits, avant d’être portée à 20 mètres pour d’autres.

En réalisant le calcul sur l’ensemble de l’exploitation, cette contrainte représentait près de 10 hectares de surfaces où il était impossible de traiter. Une situation difficilement compatible avec la culture de la pomme de terre.

Face à cette impasse, Florence et Bruno ont pris un pari très risqué mais ce choix, ils ne le regrettent pas. Cet investissement à long terme leur offre une stabilité rare : plus de dépendance aux engrais, dont le prix flambe. Notre coût de revient est fixé pour 20 ans. Même si le prix de l’engrais triple, ça ne change rien pour nous, assure Florence. 

Un produit 100 % local

Pendant les quatre premières années, le miscanthus voit son rendement augmenter progressivement. En 2022, ce sont 70 hectares qui ont été implantés. Puis en 2023, le reste de la surface est plantée en miscanthus. En année de croisière, les 200 hectares de miscanthus récoltés produiront environ 3500 tonnes de matières. De quoi remplir entièrement le bâtiment de stockage.

Mais le miscanthus, une fois en petits morceaux, présente un inconvénient majeur : il ne pèse presque rien. Malgré son volume important, la biomasse reste très légère, ce qui complique le transport et le stockage. On ne va pas aller chercher du miscanthus à Marseille, le rendement serait très mauvais, constate l’agricultrice. Un mètre cube de miscanthus pèse 120 kg alors, un camion de 90 m3 ne pèserait que 12 tonnes.  D'où l'intérêt de se fournir à l'échelle locale.

À l’origine, le miscanthus servait surtout pour la litière animale, le paillage ou le combustible. Un hectare de miscanthus représente 15 tonnes de matière, soit 7 000 litres de fioul. De quoi chauffer trois maisons. Mais Florence et Bruno ont voulu aller plus loin : Livrer une benne à la chaufferie du coin, ce n'est pas très excitant. On a eu peur de s’ennuyer. Et, c'est cette réflexion qui les a amenés à créer le Miscanbloc.

Des murs qui isolent

Après la réalisation de plusieurs analyses, Florence et Bruno ont découvert le potentiel isolant du miscanthus. 200 millimètres de miscanthus en vrac, c’est l’équivalent de 16 cm de laine de verre !, s’exclame Florence. Après plusieurs essais, ils ont réussi à mettre au point des blocs à base de miscanthus, baptisés Miscanbloc. Le matériau présente les mêmes performances thermiques et mécaniques que le béton de chanvre, tout en étant plus local et plus écologique.

Les premiers prototypes ont été réalisés à la main en mars 2024 ; la ligne de production industrielle est prévue pour juillet 2026. Quand on vendra nos premiers blocs, on pourra dire qu’on a réussi, rationalise l'innovatrice. 

Au-delà de l’innovation, le projet répond à un véritable enjeu environnemental : chaque hectare de miscanthus capte 28 tonnes de CO₂ par an, tout en enrichissant naturellement le sol. Et les riverains, eux, apprécient. Avant, certains voisins n’étaient pas très rassurés quand ils voyaient passer le pulvérisateur, confie la cultivatrice.

Florence et Bruno y voient aussi une opportunité pour l’agriculture de demain. Dans leurs champs géants de tiges dorées, une autre idée de la filière pousse déjà : celle qui construit, isole et respire.

Crédits photo : Elie Wolfcarius

  • Patrick VALOIS
    Conseiller départemental - Vice-président en charge de la Ruralité et de l'environnement

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